Xu Xiaobin est une écrivaine très connue en Chine, dont trois romans ont été traduits en anglais. Un style de littérature romanesque mais inséré parfois et d’assez loin dans la réalité sociale.
« Crystal Wedding », quinze ans de la vie d’un couple :
Yang Tianyi, l’héroïne est, comme le dit l’auteure, une femme, une intellectuelle assez ordinaire et l’on nous conte les quinze années (1984-1999) entre son mariage et son divorce, son histoire amoureuse entre son mari et plusieurs aventures ratées, son histoire de mère et son échec comme celui de ses relations avec sa propre mère. Ses succès professionnels d’écrivaine et de conférencière ne masquent pas son dégoût pour les coteries littéraires et audiovisuelles.
C’est une héroïne romanesque, « now she realized with some desesperation, that her whole being, her life, her appearance, her everything has been ruled by her emotions. When she was loved, she blossomed, she was beautiful. But without love, she withered” (p.277).
Elle se marie à 31 ans; elle a rencontré Lian, un petit fonctionnaire dont les aspirations sont très différentes des siennes. Elle pensait que son mariage la débarrasserait de sa famille, lui redonnerait une jeunesse. Il n’en est rien, sa belle-famille est bien pire !
L’un et l’autre n’ont aucune expérience sexuelle, la consommation laborieuse du mariage sera suivie immédiatement par une grossesse puis par un accouchement très difficile; et elle ne voulait pas vraiment avoir un enfant…
Elle ne se cache pas ce qui lui arrive, « Tianyi had been determined to go into marriage with her eyes open. That means accepting that love and marriage were not the same thing at all” (p.35). La vie sexuelle du couple est inexistante, elle est enceinte de nouveau, avorte et ils feront chambre à part.
Elle croit tomber plusieurs fois amoureuse mais « she was too much of an aesthete, constructing a perfect love in her imagination; in reality, she completely lacked the skills and the courage to fall in love », moreover « she could not bring herself to make the first move and so she frequently missed her chance » (p.47).
De plus , elle ne veut pas comprendre que “there was not a man in this world patient enough to have a platonic relation with her. Worse, none of them had the courage to bring this goddess down from her pedestal and turn her into a real woman” (p.99).
Plusieurs expériences avec des hommes sont des échecs, elle devient frustrée sexuellement; les cassettes porno, la masturbation et une partenaire féminine ne sont pas des solutions; le meilleur moyen de sublimer ses désirs est d’écrire romans et scenarios…
Des personnages complexes et souvent intéressants :
Son mari va évoluer hors de la fonction publique, les affaires lui apporteront de l’argent et une ouverture d’esprit qu’il n’avait pas. Il n’est pas jaloux des succès littéraires de sa femme, c’est un autre monde. Mais il reste dominé par sa mère et ne sait pas protéger sa femme qui alimente les finances du ménage après ses difficultés professionnelles. Elle-même a souffert de mauvaises relations avec sa mère qui ne l’aimait pas, maintenant il faut qu’elle materne son fils et son mari et cela lui est intolérable !
Elle ne s’intéresse pas à son fils, un bébé magnifique qui aurait dû la rendre heureuse et qui n’est guère apprécié par les grand parents. En grandissant, il aura des relations très conflictuelles avec son père. Curieusement, le rôle de mère de Tianyi est peu analysé et pourtant le garçon crée des problèmes, vole sa mère et sera la cause directe du divorce de ses parents.
Son « grand » amour est Zheng, un intellectuel idéaliste pour lequel elle n’a aucun désir. Cette relation tourne court et deux mois après, Zheng se marie. Les évènements de la place Tiananmen vont de nouveau les rapprocher…
Politique et censure :
Xu Xiaobin, comme son héroïne, n’est pas intéressée par la politique et pourtant le roman ne sera pas publié en Chine. Le livre serait trop franc, trop explicite sur les questions de sexualité. On peut s’interroger, est-ce la réalité ou s’agit-il d’un argument de marketing ? Par contre, les évocations même timides de la Place Tiananmen, sont peu acceptables pour la censure. Dans la nuit du 5 juin, Tianyi est à la recherche de Zheng et rencontre la mère de celui-ci. Zheng sera condamné à treize ans d’emprisonnement.
Et les commentaires de l’auteure sont très directs :”The Chinese were so apathic that they had simply decided not to pass judgment, to forget the desastrous decade of the Cultural Revolution. It had destroyed their lives, but they innocently imagined that this history would never be repeated. Yet it was repeated in 1989, on grounds already soaked with blood, just because the perpetrors had escaped justice the first time round” (p.229).
Tianyi est aussi la porte-parole de Xu Xiaobin quand elle critique vertement les milieux littéraires et les différents groupes qui se disputent une présence dans les médias. Son travail d’écriture est un succès et ses scénarios pour des séries télévisées sont fort bien payés mais elle ne parvient pas à être un acteur de premier plan, elle est beaucoup trop honnête.
On nous parle des écrivains « caméléons » qui flattent le goût du public et ne s’intéressent qu’à leur propre carrière en faisant jouer leurs relations. On mentionne même un livre « Old City », réputé pornographique, qui crée des problèmes à Tianyi, on pense bien sûr à Jia Pingwa, peut-être à tort !
Plus surprenante est la tournée de conférences de Tianyi aux Etats Unis où elle rencontre de nouveau Zheng qui a vieilli et qui vit mal son exil. Ses commentaires sur les Etats Unis sont enthousiastes : « Everything she had been told since she was a child was a lie: the two- thirds of the world who lived their lives in misery were not Americans but her own country people. The ideal country she had dreamed of since she was a child was right here” (p.255).
“Crystal Wedding mérite d’être lu:
On est heureusement surpris quand on lit ce livre après “Feathered Serpent », son roman le plus connu. « Crystal Wedding » est écrit dans une langue simple, directe, sans beaucoup de descriptions ni surtout beaucoup de personnages. Pas de digressions inutiles à part l’épisode de l’oncle qui arrive de Taiwan; la chronologie n’est pas trop complexe et la composition très soignée.
Une traduction plaisante, une réussite de plus pour Nicky Harman qui a joué un rôle important dans la publication et la promotion de ce livre. On peut lire également sur le site incontournable www.paper-republic.org une nouvelle de Xu Xiaobin « Snow » (traduit par Nicky Harman et Natasha Bruce) qui, dans le style, est comme une introduction à ce roman.
Xu Xiaobin, du romanesque mais pas uniquement :
Elle est née en 1953 à Pékin d’une grande famille d’intellectuels. Son père est un universitaire brillant qui l’adore; avec sa mère les relations sont moins heureuses. Des études très réussies interrompues par la Révolution Culturelle, neuf ans dans une ferme du grand nord et dans une usine. Elle parvient à rentrer à l’université de Central Finance et commence à publier en 1981.
Ses critiques des chapelles littéraires l’ont quelque peu marginalisée mais elle a obtenu le premier prix Lu Xun de littérature et son roman « Feathered Serpent » a été un succès tant en Chine que dans sa traduction anglaise (2). De nombreux romans et nouvelles mais elle a surtout écrit des scénarios pour des séries télévisées qui ont connu le succès.
« Feathered Serpent » est pour moi un livre très décevant: cinq générations dans la Chine du vingtième siècle, une approche traditionnelle dans le roman chinois mais aucun sens de l’Histoire, de l’évolution sociale; un peu de fantastique pour pimenter; c’est un « soap opéra ». Des flashbacks constants mais comme elle a beaucoup (trop) de personnages et craint que le lecteur ne soit perdu, elle se croit obligée de resituer ses personnages…
Romanesque et sentimental avec de nombreuses descriptions assez médiocres ; les femmes sont toujours sublimes et toutes de la même manière ! Quelques commentaires peu intéressants et des allusions politiques sans grande portée et tout à fait acceptables pour la censure.
Par contre, on peut lire « Dunhuang Dreams » (3) avec grand plaisir: près de Dunhuang, les grottes bouddhiques de Mogao dans la province du Gansu, en marge du désert de Gobi, constituaient un lieu de culte d’une grande importance sur la Route de la Soie. L’essentiel a été creusé sous la dynastie des Tang et constitue un ensemble exceptionnel de fresques et de statues.
Le roman nous plonge dans ces grottes, nous fait vivre la recherche d’un portrait de Laksmi ; les faux sont nombreux mais aussi les tentatives criminelles de récupération des fresques avec de la résine.
L’héroïne Xingxing se plaint de sa vie monotone avec Musheng, un professeur de gestion. Elle est peintre, étudie les fresques et fait des copies des fresques du Paradis. Zhang Shu vient de perdre sa femme qui le trompait, il se réfugie à Dunhuang où il rencontre Xingxing. Un jeune étudiant en médecine, Xiang Wuye viendra compliquer leurs relations, tout comme les deux filles ouighoures d’une gardienne des grottes.
On est plongé avec passion dans l’histoire des grottes et du bouddhisme, dans les traditions tibétaines et ouighoures. Avec un cadre aussi merveilleux, il eut fallu faire des efforts pour ne pas écrire un roman convaincant; on est conquis.
Bertrand Mialaret
- (1) Xu Xiaobin, « Crystal Wedding », traduit par Nicky Harman; Balestier Press, London, 2016, 360 pages.
- (2) Xu Xiaobin, “Feathered Serpent”, traduit par John Howard- Gibbon and Joanne Wang. Atria International (Simon and Schuster NY). 2009, 360 pages.
- (3) Xu Xiaobin, “Dunhuang Dreams”, Panda Books, 1998, 200 pages.
- (4) Xu Xiaobin’ “Dunhuang Dreams”, traduit par John Balcom; Atria Books, 2011, 208 pages.