Pour mieux connaître l’écrivain Chi Zijian, j’ai relu ses recueils de nouvelles dont, hors de Chine, on ne parle pas. Ce sont pourtant pour certaines des textes de grande qualité.
Elle est née en 1964 dans l’extrême nord de la Chine, près de la petite ville de Mohe, le long du fleuve Amur qui marque la frontière avec la Russie.
Elle quitte sa ville natale pour une école Normale puis pour l’Université Normale de Pékin et le collège Lu Xun de littérature. Elle commence à écrire en 1984 et réalise un important travail de recherche historique sur le Mandchoukuo, « The puppet regime in Mandchuria ». Elle est maintenant vice-présidente de l’union des écrivains du Heilongjiang dont elle est membre depuis 1990.
C’est un écrivain très fécond qui a publié plus de 40 romans et longues nouvelles dans des styles et sur des thèmes très divers. Elle a obtenu trois fois le prix littéraire Lu Xun pour ses nouvelles et, en 2008, le prix Mao Dun pour son roman « The last quarter of the moon » dont on a parlé il y a quelques semaines.
Le thème central de son œuvre est en fait la lutte du bien et du mal, qu’illustre son livre préféré « Sunny above the clouds », écrit pour faire son deuil de la mort de son mari, fonctionnaire provincial, tué dans un accident de voiture.
Son dernier livre « White snow and black raven »(2010) traite d’une épidémie qui en 1910, tua un habitant de Harbin sur cinq, alors qu’à l’époque, cette ville de 100 000 habitants regroupant Russes et Chinois, montrait un grand dynamisme économique.
1/ Nature et surnaturel :
Cinq recueils de nouvelles sont disponibles, trois en français (1à3), deux en anglais (4et5), mais le meilleur recueil (« Figments of the supernatural ») n’est pas le plus facile à trouver !
Nature et surnaturel sont présents dans toute son œuvre. Le lien avec la nature, l’unité avec le monde animal sont aussi soulignés. Parfois, on note une approche panthéiste dans la ligne de Shen Congwen.
Elle prétend que l’omniprésence du surnaturel vient des histoires de fantôme que lui racontait sa grand-mère. Elle souligne à l’envi la présence des éléments spirituels et magiques dans la vie quotidienne. Mais il ne s’agit pas d’une quête spirituelle comme dans « La montagne de l’âme » de Gao Xingjian, même si mythe et tradition aborigène ont aussi une place importante dans son œuvre.
Perturbée par un fantôme « musicien » lors d’un séjour à Mona, en Mandchourie, elle le fait exorciser mais en visitant Bergen, la ville natale du musicien Edvard Grieg et écoutant sa musique, elle constate que « my attemps to have the ghost exorcised from that wooden cabin made me feel utterly ashamed of myself ».
Dans « Voyage au pays des nuits blanches » une des nouvelles les plus réussies, la narratrice fait son deuil d’un mari qui l’abandonne et qui décède. Un voyage dans le nord qu’ils se sont promis pour contempler les nuits blanches, mais est-il vraiment à ses côtés ? Les morts sont bien parmi nous.
Parfois, on est proche des thèmes traditionnels: le mort qui ne veut pas rejoindre sa tombe, qui veut y être mené par sa veuve (« Cemetary under the snow »).
2/ Histoire et réalisme :
L’approche historique ne semble pas vraiment l’intéresser. On note quasiment …par hasard, que certaines nouvelles se situent pendant une occupation japonaise qui n’a guère d’impact sur la vie des villageois sauf dans « La fabrique d’encens ». Parfois, elle cultive des thèmes classiques: la décadence d’une grande famille comme dans « Le bracelet de jade », mais sans que les évènements historiques ou l’environnement jouent un véritable rôle.
Ce qui surprend, c’est l’importance de l’amour entre les personnages, des paysans comme dans « Potato lovers » ; on est loin de la brutalité des étreintes paysannes de Mo Yan ! De même l’analyse d’un amour perturbé comme dans « A flock in the wilderness », est très finement menée. Les femmes jouent un rôle majeur et l’égalité avec les hommes à l’époque moderne n’est plus un problème.
Les détails de la vie courante sont un aspect essentiel: « La qualité majeure d’un bon écrivain consiste selon moi à déceler dans une vie apparemment immuable les caractères communs à une société…Une œuvre doit sa force à la description de la monotonie et de la banalité de la vie ». C’est en cela qu’on a pu la qualifier de réaliste, mais cela n’a évidemment rien à voir avec le « réalisme socialiste ».
De même la critique sociale est marginale et toujours indirecte. A la manière de Lu Xun, les ventes d’enfants et les catastrophes qu’elles créent dans les familles et les fratries sont dénoncées dans « A flock in the wilderness » ou « Le bracelet de jade ». Les traditions très dures auxquelles sont soumises certaines épouses ou les servantes sont évoquées mais pas vraiment dénoncées. Par contre dans plusieurs nouvelles, le ton est un peu idyllique comme chez Shen Congwen; on a du mal à croire que l’humanité soit aussi bonne (« Pour six plats d’argent »).
3/ Style et technique :
On est parfois un peu déçu par le style et la composition des nouvelles. Cependant, avec talent, elle évite le sentimentalisme et évoque des évènements parfois durs avec détachement. De plus, l’auteur sait généralement soutenir l’intérêt, ménager les rebondissements. La chute des nouvelles est parfois imprévue (« Le bracelet de jade ») ou spectaculaire (« La danseuse de Yangge »).
On n’est pas convaincu par des nouvelles de style policier comme « Neuf pensées », une enquête sur un meurtre actuel. Bien construit mais avec un peu de remplissage et avec un assassin qui avoue bien facilement, terrorisé par la crainte d’avoir attrapé le Sida !
Parfois, notre romancière a tendance à faire mourir les personnages qui ne lui servent plus (comme dans « La fabrique d’encens »), une véritable hécatombe dans un texte qui ne se laisse pas saisir (la fabrique d’encens ne peut être un personnage du livre car on n’en parle pratiquement pas !)
La nouvelle est un art difficile et il est naturel que toutes ne soient pas de la même qualité mais certaines de celles qui sont traduites sont aussi remarquables que « The last quarter of the moon ».
Bertrand Mialaret
(1) « La danseuse de Yangge », traduit par Dong Chun, Bleu de Chine , 1997.
(2) « Le bracelet de jade », traduit par Dong Chun, Bleu de Chine, 2002.
(3) « La fabrique d’encens », traduit par Dong Chun, Bleu de Chine , 2004.
(4) « A flock in the wilderness ». Panda Books, Beijing 2005.
(5) “ Figments of the supernatural”, translated by Simon Patton. James Joyce Press. Sydney 2004.