Qiu Xiaolong, que nous avons rencontré récemment, fait remarquer que l’on parle surtout de ses romans policiers. Une remarque sans acrimonie, car il est d’une urbanité parfaite, mais que je suis contraint de prendre aussi à mon compte; pour Qiu Xiaolong, l’essentiel, c’est la poésie !
La poésie, des Tang à T.S. Eliot et à… Qiu Xiaolong.
Ses recherches pour une thèse sur le grand poète anglo-américain T.S Eliot, le conduisent à St. Louis (Missouri) avec une bourse de la Fondation Ford en 1988. C’est dans cette ville qu’est né le poète dont le grand-père a participé à la fondation de l’université Washington là où enseigne actuellement…Qiu Xiaolong.
Avec les évènements de la place Tiananmen en juin 1989, il décide de demeurer aux Etats Unis. Il termine sa thèse tout en publiant quelque uns de ses poèmes et en traduisant de grands poètes chinois. Enseignement, romans policiers à succès, tout cela ne lui a jamais fait négliger la poésie comme poète ou comme traducteur.
Il s’explique sur les difficultés de la traduction en commentant les recueils disponibles dans une excellente interview(1). Il a lui-même publié plusieurs recueils(2) de ses traductions en se concentrant sur les poètes qu’il préfère, des dynasties Tang (618-907) et Song (960-1279) et tout particulièrement Li Shangyin (813-858).
Il a ensuite fait paraître en 2008 « Lines around China »(3), un recueil de ses poèmes en anglais où il distingue les poèmes écrits aux USA (« Lines out of China »), les poèmes écrits lors de ses voyages en Chine (« Lines in China ») ou réécrits en anglais (pour ceux écrits en chinois il y a de longues années). Enfin « Cathay revisited » nous donne les poèmes nés de son dialogue de traducteur avec les poètes chinois.
Par exemple « Reading Li Shangyin at night » :
When it rains in the mountains, and
the candle light that remembers
your trimming fingers flicks
by the western window,
and the autumn pool is swollen
with missing thoughts, again,
I hear you asking the same question:
“When can you come back?”
Oh, back home-
to tell you about the moment
when you become the mountain,
and the montain becomes you, deep
in the night, the candle light illuminating
the autumn pool of thoughts swelling
out the western window, and
the rain patters on, repeating
your question.
Le dialogue des poèmes de “Lines in China” est aussi une conversation autour des personnages et des incidents de ses nouvelles du recueil « Cité de la Poussière Rouge », qu’il s’agisse de la Révolution Culturelle (1966), de la visite du Président Nixon (1972). Le beau poème « Pill in Picture » évoque un thème de la nouvelle « Des comprimés et une photo » (1976).
Les nouvelles, l’histoire de la Chine vue par les gens « d’en bas ».
« La Cité de la Poussière Rouge » a pour modèle une ruelle de Shanghai, dans la zone de la concession française, tout près de là où vivait le jeune Qiu Xiaolong. Il y passait des heures avec ses copains, écoutant les histoires des habitants prenant le frais.
Chaque année, ou plutôt 24 années depuis la création de la République Populaire en 1949, sont chacune à leur tour le sujet d’une nouvelle, précédée du journal mural de l’année tel qu’il aurait pu être affiché par le Parti sur les murs de la Cité.
Ces nouvelles retracent des anecdotes orales, des évènements qui affectent la vie des résidents, des gens « d’en bas »…Des ragots, des commentaires sur des évènements significatifs qui marquent les évolutions brutales de l’histoire de la Chine.
Tous ces textes sont indépendants mais interconnectés, ils s’illustrent, se répondent…Comme l’écrit Qiu Xiaolong dans son blog(5) « C’est là que la littérature diffère de l’histoire. La littérature est centrée sur les gens, les tragédies ou les évènements comiques de la vie des individus…Ce qui peut à peine servir de note sans importance en bas de page est bien suffisant pour sceller le destin d’un homme ou d’une femme de la Cité de la Poussière Rouge ».
Certains des évènements relatés sont déjà connus, le lecteur ne sera pas trop dérouté, mais tout est dans la manière de les commenter, de les raconter. On ne peut pas oublier de beaux portraits (le poète ouvrier, le directeur d’usine pendant la Révolution Culturelle) qui sont aussi des critiques indirectes du régime ..ou de la société. Portraits poignants: elle est revenue d’un camp de prisonniers en Corée, elle n’est pas morte comme cela avait été annoncé; le prix à payer sera lourd (c’est aussi l’un des thèmes d’un grand roman de Ha Jin « Les rebuts de la guerre »)
Ces nouvelles se lisent avec grand plaisir, c’est pourquoi l’on est heureux d’apprendre qu’un deuxième recueil « couvrant » 20 autres années est en cours de traduction chez son éditeur; il sera intéressant de demander un jour à l’auteur pourquoi certaines années ne l’ont pas inspiré…!
Bertrand Mialaret
(1) http://thebrowser.com/interviews/qiuxiaolong-on-classical-chinese-poetry?
(2) « Hundred poems from Tang and Song dynasties » Betterlink Press 2006.
“Evoking Tang: an anthology of Classical Chinese Poetry” Penultimate pub, juillet 2007.
“Classic Chinese love poems”. Recueil bilingue publié en Chine.
(3) Qiu Xiaolong « Lines around China ». Neshui Press 2008.
(4) Qiu Xiaolong “Cité de la poussière Rouge”, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Battle. Liana levi, 2008.